Portrait sonore du lac d’Annecy réalisé en 5.1 au studio MIA (Annecy) entre 2004 et 2007
(intention déclarée avant d’avoir effectivement composé ce portrait ...)
Le studio MIA, à Annecy, est situé face au lac : qu’est-ce que le son peut réfléchir de cette réalité brute et littéralement « posée là  » ?
Avec « LAC  », je veux confronter mon travail de compositeur à cette question, sans préjuger du résultat, mais en saisissant l’opportunité de penser autrement avec la musique.
La réalité en question, si elle consiste en un objet extérieur à la pure musique (le lac) est aussi la réalité de l’ensemble du processus technique menant, depuis l’intention de prendre des sons, à l’écoute de leur empreinte sur le support et à la constitution de la matière et de la forme composée : la musique.
La musique ? Qu’a-t-elle à faire dans cette galère avec la réalité ? N’est-elle pas elle-même, tout simplement aussi (comme le lac).
Comment faire pour que ces réalités, du moins l’une d’entre elles, la musique, renvoie quelque chose de l’autre.
Quelque chose qui ne serait pas une image toute faite. La prise (parfaite) des sons du lac par exemple.
Composer « LAC  » face au lac : la conception de cette pièce est directement issue du travail et de la fréquentation du studio MIA d’Annecy.
Les prises de son seront le fruit d’une période vécue sur le site et ne pourraient se faire autrement. L’aller-retour du site au studio sera continuel et une grande partie de la matière restera imprévisible jusqu’au moment de cette réelle confrontation avec la réalité du lac et le passage de cette réalité au filtre du studio (dans une sorte de réinjection vécue sur le long terme…).
L’approche psycho-technique propre à tout enregistrement complique tout : avec « LAC  », il n’est pas question de lac en soi.
Entrer en contact avec l’épaisseur de ce que la captation met en jeu : une procession alambiquée d’instances aussi bien techniques, qu’imaginaires, physiologiques, esthétiques, ou mentales, ... imbriquées les unes dans les autres.
Bref, la réalité, celle du lac, est immédiatement stratifiée et même plusieurs fois repliée sur elle-même.
- « Le réel, traité de l’idiotie  »
« Le réel est ce qui est sans double : il n’offre ni image ni relais, ni réplique ni répit. En quoi il constitue une idiotie.  »
Clément Rosset
Ne rien présupposer quant à la ressemblance des prises.
En croyant piéger ou prendre le réel, c’est soi-même que l’on prend au piège de ses propres attractions mentales. Une prise de son est une prise au piège du son mais c’est aussi celle des perceptions par l’attraction de la ressemblance. Et que la ressemblance soit une prise au piège de la perception devrait être un pléonasme... Pourtant, si celui-ci a été décortiqué par les arts plastiques, il semble qu’il soit encore source d’une fascinations sans distance de la part des musiciens (trop heureux de pouvoir enfin se confronter avec le « réel  » après une grande Histoire avec l’abstraction ?).
– « L’empreinte  »
« L’empreinte nous touche et nous échappe d’abord en ce qu’elle forme un malaise dans la représentation : une « ressemblance-symptome  ».
[…] Dans chaque empreinte singulière, en effet, le jeu du contact et de l’écart bouleverse notre rapport au devenir et à la mémoire, en sorte que l’acte et le retard, […] le Maintenant et l’Autrefois se réintriquent également en une formation inédite et troublante pour la pensée.  »
Georges Didi-Huberman
Renverser la notion de field recording, et son esthétique sous-jacente, sur elle-même en pointant ce que l’idée même d’une fidélité de l’empreinte contient comme idéologie... mais le faire en–musique : dans la musique elle-même.
Bribes de paroles... murmures etc. rien de la voix n’est à découvert : on ne la comprend que si l’on décide de la comprendre. La parole est, ici, comme un secret de la musique ; parmi les secrets, le plus facilement mis à découvert et en indiquant bien d’autres, aux confins d’une l’obscurité à soi-même.
Qu’est-ce que la fidélité d’une prise de son vient faire dans la musique ?
Composer avec tous les niveaux de l’écoute.
Comme sur une île inversée, à Annecy, faire un tour, c’est faire le tour du lac : dessiner ce tour en musique, prendre à parti des témoins, faire errer l’écoute autour de cet objet.
Lac : île inversée.
Trouver des solutions pour que coexistent des empreintes sonores et des schémas sonores du lac comme l’on pourrait exposer simultanément cartes, schémas, dessins, peintures et photos de la même chose.
Qu’est-ce qu’un schéma sonore ? Une carte ?
Une carte n’est pas le territoire  »
« 1 – une carte n’est pas le territoire
2 – une carte ne couvre pas tout le territoire
3 – une carte est auto-réflexive  »
Alfred Korzybski
Le portrait subjectif d’une entité géographique.
Chercher à confronter l’abstraction la plus grande avec ce qu’une prise de son peut avoir de plus concret :
- où l’abstraction quant au lac appelle un schématisme
- où la confrontation des techniques peut renforcer la réalité de tel ou tel son
- où la voix des témoins ajoute de l’espace à l’intérieur du son en indiquant à l’écoute la diversité des couches en présence
Il y aura :
- des tournages sonores sur le site
- des « interviews  » autour du lac d’Annecy
- une mise en schémas sonores sans lien causal avec le lieu
et l’ensemble de ces trois couches joueront de toutes sortes de qualités techniques quant à la prise de son.
« Les schémas, un langage transdisciplinaire  »
« En échappant à la contrainte de la ligne unidimensionnelle […] qui renvoie à la nécessité d’un ordre préétabli à respecter, comme c’est le cas dans l’écriture d’un texte à réaliser […], le schéma se déploie sans structure à priori dans la liberté bidimensionnelle de la feuille. Il invente un espace réceptif à la projection des premiers éléments présents à l’esprit, et sans ordre précis […].  »
Michel Adam
Construire une géophonie.
L’ensemble sera séquencé suivant plusieurs logiques successives (comme autant de point de vue sur le LAC) et parsemé de structures schématiques complètant et resserrant la forme sur la longue durée : ces schémas, dont la recherche est un des objets principaux de « LAC  », rythmeront, et constitueront le contrepoint mentale de la matière sonore directement issue du site. Quelque chose d’une rencontre de la pensée et de l’empreinte.
Jusqu’à aujourd’hui, mon travail de compositeur électroacoustique a été double :
- d’une part, en solitaire, l’élaboration d’une musique que je revendique comme abstraite, hors de toute relation causale pertinente avec la source des sons
- d’autre part, en collaboration (Éric Cordier, Éric La Casa...), l’expérience d’une confrontation avec le monde (sonore), le paysage, le site, l’architecture, les objets et les personnes...
LAC est pour moi l’occasion d’une mise à l’épreuve de l’une par l’autre : de la réalité par l’abstraction et de l’abstraction par la réalité.
Au travers de tous ces problèmes et de toutes ces solutions le portrait d’une entité géographique (ou son impossibilité) arrivera à fleur de l’écoute : un lac, celui d’Annecy).
Avec « lac  » je veux amener le son (la musique ?) et l’image (le documentaire ?) à se rencontrer sur d’autres bases que celles habituellement vues, entendues, entrevues … (celle par exemple du réalisme des perceptions que le film engage pour le spectateur) Et pour cela, me servir comme d’un tremplin de ce « personnage  » géographique, le lac d’Annecy, pour sortir mon Å“il et mon oreille de leurs tendances « naturelles  » : je veux faire que le lac me force à sortir de mes habitudes (mes goà »ts ?) au profit d’une appréhension — d’une empreinte, d’une présentation de ce « personnage  » — fidèle non pas à lui comme entité mais à sa rencontre et à ce qu’il implique de pensées, d’images mentales ou de grappes de perceptions etc..
Pour cela je compte en particulier sur ce que le son, considéré indépendamment dans un premier temps, peut apporter d’humain dans la captation d’un paysage … paroles prises à la volée … trouvées sans les avoir cherchées … ces mots, ces gestes de l’esprit que l’on coupe souvent au montage deviennent ici les pivots d’une construction de l’image, de son rythme … les atomes d’une poétique que la bande son s’engage à extirper, à exprimer.